Environ deux ans après le début de cette épreuve qu'il combat toujours, Charles Parent, passionné de rap québécois, lance un EP, nommé Patient, particulièrement bouleversant. Sous le nom de Charly Mortel, il présente sept compositions écrites pendant les moments forts de son hospitalisation où il décrit son expérience des dernières années. Des soirées de créations à l'hôpital, un Go Fund Me qui devient viral et deux greffes plus tard, il se confie dans une entrevue avec Narcity Québec.
D'abord, peux-tu revenir sur le moment où tout a commencé, quand tu as reçu ton diagnostic?
« Ça commence le 10 août 2020, on m'appelle, j’avais été faire une prise de sang random. J’étais allé faire une prise de sang parce que j’avais un peu les ganglions enflés, au début je me demandais si je n’avais pas la COVID dans le fond. Faque là j'ai fait une prise de sang avant d’aller travailler, je suis rentré travailler en télétravail, et là il m’appelle. Eux dans le fond, dans la prise de sang, ils voyaient directement que c’était une leucémie grave. Donc, ils n’avaient pas le choix de me l’annoncer au téléphone parce qu’ils voulaient commencer la chimiothérapie le lendemain. Moi, ce que le gars m’a dit c’est : "Qu’est-ce que tu fais en ce moment, y a-t-il du monde aux alentours de toi?" Je lui ai dit que j'étais en train de travailler seul. Il m’a dit : "trouve-toi quelqu’un, arrive dans la prochaine heure pis t’as pu de job, c’est fini." Lui, il essayait d’être clair. Quand je suis parti de chez nous cette journée-là, je suis revenu un mois après.
« [...] Dès que j’ai rencontré la première médecin, elle m’a dit que c’était une leucémie. Il y a deux choix de leucémie : une moins grave, une plus grave. Donc, finalement, j’avais la plus grave des deux. Dès le jour un c'était 30% de chances de survie. Après, ils ont fait d'autres tests, ils se sont rendu compte que c’était plus grave qu’ils pensaient. Ça a diminué le 30%...Mais je ne demandais plus de chiffre rendu-là. »
10 août 2020, on est en contexte pandémique. Comment as-tu vécu ça?
« À la base, j’étais hospitalisé à Laval et à partir du moment où ils se sont rendu compte que c’était trop grave pour ce qu’ils étaient capables de faire, on m'a transféré à Maisonneuve-Rosemont qui sont les professionnels en greffe de moelle osseuse au Québec. Une greffe, c'est ultra dangereux, dans le sens qu’il y a 10 à 15 % du monde qui meurent d'une greffe. Moi, ils me disaient ça, j'étais comme : "Pourquoi je la ferais?" Ils me disaient : "Bien tu as plus de chances de mourir sinon." Tsé, moi j’étais en rémission à ce moment-là. Moi à Laval, ils m’avaient amené en rémission, dans ma tête tout était beau. Sauf qu’eux autres évaluaient que les chances de récidives étaient tellement élevées qu’ils voulaient me faire une greffe.
« En décembre 2020, je suis rentré pour une greffe de moelle osseuse à Maisonneuve-Rosemont. J'avais passé un mois à Laval pour mes premières chimios, puis là, j’ai passé un mois et demi à l’hôpital en décembre 2020. Je n’avais pas le droit de visite. J’avais zéro visite, c’était pendant le temps des Fêtes en plus. J’ai passé Noël tout seul, jour de l'An tout seul, c’était terrible. En plus, ma blonde était en arrêt de travail quand je suis tombé malade, parce qu’elle voulait s’occuper de moi, mais c’était zéro visite. Ce n’était pas facile à ce bout-là.
« Quand je suis sorti de là, j'ai fait une récidive, ce qui était la pire chose que je ne pouvais pas faire. J’ai fait une récidive de cancer, donc la greffe n’avait pas fonctionné. Moi, j’avais posé la question avant, j’avais demandé : si je fais une récidive dans les six mois après une greffe, qu’est-ce qui arrive? La médecin m’avait dit que c’était les soins palliatifs.
« Ça, c'est le moment où j'ai fait mon Go Fund Me, parce qu’au moment où ils me disaient qu’ils n’avaient plus de solutions, ben il y a des médecins qui sont arrivés avec une autre solution, mais on devait payer près de 8 000 $ par mois. C’était en mars 2021. Dans le fond, j’ai été hospitalisé cette fois-là et avec le Go fund Me, on a ramassé 71 000 $ et j’ai pu commencer mes médicaments. Ça m’a ramené en rémission, mais ça ne pouvait pas me garantir que j’allais être guéri.
« En fait, il n’y avait aucune chance que je sois guéri avec ça. Ça me prenait une deuxième greffe pour être guéri. »
Où en es-tu aujourd'hui?
« J'ai fait une deuxième greffe. Elle a fonctionné, la greffe a bien pris, sauf qu’il y a encore des chances de récidive. Dans le fond, c’est que des fois la greffe fonctionne, mais la maladie est plus agressive, plus forte et elle réussit à revenir. Pour l’instant, je suis au jour 150, donc cela veut dire que ça fait 150 jours que j’ai eu ma greffe, pis ça veut dire que je suis déjà mieux que la dernière fois, où je m’étais rendu au jour 60. Dans le fond, j’étais même en rémission avant ma greffe, je suis encore en rémission complète. C’est juste que rémission et guérison c'est deux affaires différentes. Si je toffes encore deux ans de même, qu’il n’y a rien qui se passe, ils vont me dire avec la greffe que tu as faite, avec la rémission, on considère que tu es guéri. Ça, c’est mon but! »
Tu as eu une grosse vague d'amour des Québécois, en amassant 71 000 $ sur Go Fund Me. As-tu trouvé cette attention là apaisante ou difficile?
« J'ai vraiment aimé ça. À ce moment-là, j'étais dans ma chambre d'hôpital, c’était comme un dernier recours, on fait ça et on espère que ça fonctionne, mais on n'avait aucune garantie que ça allait fonctionner. Je savais que mon entourage proche allait donner, mais il y a eu tellement de partages que c’est devenu assez rapidement du monde que je ne connaissais pas qui donnait.
« J’ai reçu vraiment de beaux messages, j’ai reçu vraiment beaucoup d'appui. C'était juste de l'amour, je recevais juste de l’amour et du soutien! Je n’étais pas capable d'aller me coucher cette journée-là, je faisais juste tout le temps refresher pour voir! »
Un an après ton diagnostic, tu as sorti ton premier vidéoclip Portefeuille. D'où venait l'idée du projet?
« À ma première hospitalisation, ma mère m’a demandé : "OK ben qu'est-ce que tu as envie de faire?" Puis je lui ai dit - elle ne s’attendait vraiment pas à ça, tu aurais dû lui voir la face - Je lui ai dit :"j'ai envie de faire du rap, j'ai envie d'exprimer ce que j'suis en train de vivre dans du rap". Parce que moi je trippe sur le rap mais je trippe aussi sur le rap à paroles, que tu écoutes et que tu te dis je suis en train de vivre ce qu’il est en train de vivre.Tu sais, il y a Koriass qui est en train de vivre une dépression et qui en parle.
« Pour moi, c’était comme, j’ai le goût de l’exprimer comme ça. J'avais écrit un verse dans ma chambre d'hôpital à ma première hospitalisation en 2020 et quand je suis sorti je l'avais publié sur Facebook. Plus tard, il a été sur YouTube, mais tu peux voir sur ma chaîne YouTube, ça s’appelle genre : texte écrit à l'hôpital en rémission Charles Parent. Ce texte- là, en tant que tel, quand je l’ai publié, il y a un gars qui a vu ça et qui a fait : " Hey moi j'ai un studio, vient enregistrer chez nous gratuit, c’est hot ce que tu fais. Fais des tounes pis viens les faire, ça c’est malade." C’est Simon Pelchat, lui son nom de beatmaker c'est Ledonk production. C’est lui qui fait les instrumentals, c’est lui qui m’a enregistré.
« Ça a adonné qu’après, j’ai écrit les paroles de Portefeuille quand j’étais dans une autre hospitalisation et quand je suis retourné chez nous je me disais : "OK, ça faut que je le fasse". Avec lui on a travaillé là-dessus, on a fait la chanson Portefeuille. À ce moment-là, je ne savais pas si ça allait être genre une toune pis ça finit là. Après il m’a dit qu’il connaissait quelqu'un qui faisait des clips qui m’a dit je peux te faire un clip pour pas cher.
« [...] Je voulais sortir avec quelque chose de bon, quelque chose qui me ressemblait, quelque chose qui sonnait bien. Mon clip c’était l’fun, parce que c’était un peu un rêve aussi d’avoir un clip. C’est ça, j’ai sorti Portefeuille. »
Charly Mortel - Portefeuille (Clip officiel)
Ta passion pour le rap Québ, ça remonte à quand?
« À partir du moment où j’ai été hospitalisé, j’écoutais juste du rap. C’est sûr que quand j’étais jeune j’en écoutais, tsé L’Assemblée pis de vieux trucs de rap québécois, mais ça a vraiment parti avec l’espèce de vague en 2009, de nouveau rap québécois : Alaclair Ensemble, Dead Obies, Loud Lary Ajust...Ça c’était ma vague de rap québécois, et c’est aussi ça qui a parti le rap québécois d’aujourd’hui. C’était Koriass aussi, mais FouKi, c’est ce qu’il écoutait. Ça, j’ai vraiment trippé là-dessus, j’allais à tous les shows de rap québécois, je connaissais du monde de rap québécois, je baignais un peu là-dedans sans toutefois en faire parce que je trouvais que je n’avais comme un peu rien à dire de plus, pis je n’avais pas de talent pour faire des instrumentals. Tsé, si j’étais capable de faire des beats, bien j'en ferais et je rapperais dessus et tout ça. Je n’avais personne que je connaissais dans mon entourage que, comme il m'est arrivé deux ans après - qui m’a offert : "Hey, j’ai un studio, hey je fais des instrus on va travailler ensemble." Cette porte-là s'est ouverte parce que…j’étais malade. Parce que ça sonnait comme le gars que c’était son rêve. Tsé je rêve de ça, je suis malade, j’ai envie d’en faire. »Parle-moi de ton nom, Charly Mortel. As-tu peur qu'il te rattache pour toujours à ta Leucémie?
« Moi pour l'instant, ma vie, c'est encore ça. Je suis encore à l'hôpital plusieurs fois par semaine, je n’ai pas recommencé à travailler, je vis encore toujours les frustrations d’être malade, de ne pas être rétabli complètement de ma forme. Charly Mortel, Charly immortel, Charles immortel. Quand je suis arrivé à choisir mon nom, je voulais qu’il y ait Charly dedans, parce que tout le monde m’appelle de même. Je trouvais qu’il y avait un genre de petit lien au fait que je suis immortel. Si j’en parle dans la vraie vie aussi, ya des tounes qui font référence à ça aussi, je veux être immortel. Il y a une référence à Loud et son succès Devenir Immortel dans une des tounes, pis je suis un gros fan de Loud, Simon Cliche. »
D'où est venue l'idée de faire ton EP Patient ?
« Tu te fais dire que tu as 30% de survie, faque tu te dis : "si j'ai quelque chose que je voulais faire, ben je suis aussi bien de le faire là". Parce qu’une fois que tu es sur ton lit de mort, tout ce que tu penses c’est tes regrets : "Qu’est-ce que je n’ai pas fait?" À la place, je me suis dit tout de suite : " Je n'ai jamais été sérieux à essayer de faire du rap alors que j’ai toujours trippé là-dessus, alors je vais le faire." Ça, c’était la première partie. Après ça, quand j'ai sorti Portefeuille, ça a vraiment, vraiment pogné rapidement. Dans le sens qu’il y avait 2 000 personnes qui ont écouté le vidéoclip dans les premiers jours de sa sortie. Moi, quand j’ai vu que tout le monde le regardait, que j’ai reçu des bons commentaires, je me suis tout de suite dit ben je vais en faire d’autres.
« En plus, il y avait l’engouement du milieu, j’avais des rappeurs que je respectais, qui m’écrivaient pour me dire qu’ils avaient trouvé ça bon, qui me disaient que même côté technique, c’était solide, que les rimes étaient bonnes. J’ai fait: Okay, c’est peut-être bon finalement ce que je fais. Faque je me suis dit ''je vais en faire d’autres'', donc avec Ledonk production, lui il a commencé à travailler sur des beats, on a commencé à travailler ensemble et on a fait les autres chansons l'une après l’autre. Après, ce que je me suis dit, c’est que mon premier texte que j’avais écrit, dont je te parlais tantôt, ben c’est devenu Intro, c’est la première toune de mon EP, parce que j’ai pris le premier verse que j’avais écrit, et à cela j’ai rajouté la suite de l’histoire, qui n’était pas encore arrivée à ce moment-là.
« Je me suis dit j’ai Portefeuille, j’ai Intro qui part, je pourrais, en ordre chronologique, un peu raconter toute mon histoire des deux dernières années. Chacune des chansons raconte un peu une espèce d’état d’âme dans laquelle j’étais à ce moment-là, ou une émotion. »
Comment est venue l'inspiration des textes, as-tu travaillé avec des personnes de l'industrie?
« (...) Moi, je n'avais rien à faire à l'hôpital, depuis deux ans j’ai passé près de 200 nuits à l'hôpital, j’avais beaucoup de temps, je n’avais pas le droit de visite, j’avais rien. Je me disais : "qu’est-ce que je fais?" C’est là que je me disais, ben je vais raconter comment je me sens en ce moment. »
« Je suis autodidacte. À partir du moment où je savais que c’est ça que je voulais faire, j’ai commencé à vraiment beaucoup écouter et ré-écouter des trucs que je connaissais, en mettant de l'emphase sur comment il a bâti son texte lui, ce qu’il voulait dire, comment la rime est faite, comment la line est faite. J’ai vraiment étudié ça, parce qu’il n’y a pas vraiment de ressources. Je n’ai pas eu de mentor, mais ce qui est arrivé, c’est qu’il y des rappeurs québécois que moi j’aimais, qui sont pas super connus qui, une fois que j’ai sorti mon premier verse, ils me donnaient des commentaires constructifs. Ça m'a beaucoup aidé. »
Quelle est ta chanson préférée de l'album?
« Mes deux chansons préférées de l'album sontRésilienceet Abandonner. Abandonner, c'est celle où je trouve que l'émotion passe le mieux. J'ai voulu décrire comment je me sentais les jours où j'étais découragé et que mon moral était au plus bas et c'est exactement ce que je ressens quand je l'écoute. Résilience, c'est celle que j'ai eu le plus de plaisir à écrire et que j'ai le plus de plaisir à écouter. Ça démontre bien mon attitude combative les jours où j'avais l'impression d'être invincible. C'est la chanson qui a le plus de punchlines, de jeux de mots et de doubles sens et j'adore ça. J'adore le fait que même après plusieurs écoutes, on comprend toujours de nouveaux punchs qu'on n’avait pas compris avant. »
Alors que ton EP vient de sortir, quels sont tes projets pour la suite?
« Pour l'instant, je ne sais aucunement quels sont mes projets pour la suite. Je sais que j'aimerais faire un spectacle, et j'aimerais que le plus de monde écoute mon EP, parce que pour l'instant, c'est mon entourage qui l’entend, c'est les amis des amis. Une fois qu’il va y avoir du monde qui va l’écouter, j’ai l’impression qu’il y a peut-être des opportunités qui vont s'ouvrir à moi. C’est sûr qu’après ça, bien je vais repartir, peu importe ce que j’ai comme opportunité, je sais que je vais repartir et probablement réavoir l'envie d'écrire et de faire une suite à cette histoire-là, parce que l'histoire n'est pas terminée pis ça risque d’être plus positif, la suite parce que… en tout cas je l’espère.
« J'aimerais vraiment faire un spectacle qui aide la fondation de l'Hôpital Maisonneuve-Rosemont. D'ailleurs, le EP est complètement gratuit, mais la fondation m'a fait une page officielle pour qu'on puisse accepter les dons. »
Si tu pouvais collaborer avec n'importe quel rappeur québécois, qui choisirais-tu?
« Ça serait Loud! Parce que c'est le meilleur. C'est le meilleur avec les textes, c'est quelqu'un qui s'applique énormément pour que chacune de ses chansons ait un message. Il dit ce qu’il veut dire, c’est le meilleur! Si j’en avais un autre à nommer, c’est Koriass, parce qu'il a une maîtrise des textes incroyables. Ce qu’il est capable de faire, c’est de prendre une idée, une émotion, et de la mettre dans une chanson. C’est ce que j'essaie de faire. Je ne serai jamais à leur niveau, parce qu’eux autres ont commencé vraiment jeunes, pis ils ont toujours fait ça. »
Le EP Patient, de Charly Mortel, est disponible sur plusieurs plateformes depuis le 4 novembre 2022.
Cet entretien a été édité et condensé afin de le rendre plus clair.