Plusieurs G.O. du Club Med au Québec dénoncent un climat de travail toxique
« On ne se fait vraiment pas traiter comme des êtres humains... »
Ouvert depuis le 3 décembre 2021, le Club Med Charlevoix a attiré une foule de vacancier.ères qui n'attendaient qu'à dévaler les pentes enneigées de cette belle région du Québec. Avec une équipe de Gentils Organisateurs (G.O.) provenant des quatre coins de la province, l’entreprise a tôt fait parler d’elle pour son offre de services inédite qui promet « un lieu unique avec des vues spectaculaires sur le fleuve », comme on peut lire sur leur site Web.
Toutefois, tout ne semble pas si rose dans les corridors du gigantesque site tout inclus. Près d'une dizaine d'employé.es ont témoigné à Narcityd’un climat toxique étouffant qui serait encouragé par l’équipe de gestion du Club.
Plusieurs ont mentionné ressentir de l’intimidation de la part de certain.es gestionnaires, vivre un stress quotidien de peur d'un renvoi injustifié, subir des moments d’humiliation devant leurs collègues de travail et avoir reçu des commentaires et des textos déplacés de la part de supérieur.es ou de collègues.
Narcity s’est entretenu avec huit G.O., dont deux qui travaillent toujours au Village, qui ont tous et toutes tenu à garder l’anonymat par peur de représailles. Les prénoms mentionnés dans cet article ont donc été modifiés*.
Notons que les personnes interrogées ont travaillé au Club Med durant l’automne 2022 et l’hiver 2023. Certaines d’entre elles ont été congédiées alors que d’autres ont choisi de quitter l’entreprise par elles-mêmes. Narcity a d'ailleurs eu accès aux documents d'embauche et de congédiement. Ces expériences de travail racontées par les G.O. pourraient donc être circonstancielles en raison du personnel travaillant à l’hôtel durant cette période.
Le Club Med décrit le poste de G.O. comme des « ambassadeurs de l’esprit de l'entreprise et des collaborateurs ». Ces personnes travaillent avec la clientèle et sont hébergé.es sur le site même du tout-inclus. Les G.O. ont pour mission de rendre les vacances des client.es le plus agréables et conviviales possible : « Créateur de liens avec nos clients dits G.M, ou Gentils Membres, il (le G.O.) est orienté solution et a pour mission de rendre leurs vacances inoubliables pendant la totalité de leur séjour. »
Climat toxique et intimidation
Lors de sa rencontre avec Narcity, Emmy*, qui a travaillé quelques mois pour l’entreprise, a témoigné que son emploi de rêve a rapidement tourné au vinaigre, et ce, dès ses premiers mois au sein de la compagnie de renommée internationale. « Moi, je voulais vraiment que ça fonctionne. J’étais tellement excitée! Pour moi, c’était une expérience qui allait être life changing (un changement de vie) et qui allait peut-être être l’une de mes meilleures jobs à vie. Et pendant un certain temps, j’étais vraiment heureuse. Au final, c’était comme une relation toxique. Au début, tu vis le honeymoon phase (phase lune de miel) et à un moment donné, tu commences à voir les vraies couleurs de ce que c’est et là, ça commence à devenir toxique. »
La jeune femme a décrit son état mental comme étant sur une pente dérapante après seulement quelques semaines à travailler pour le Club : « Même pour les gens qui, comme moi, voulaient vraiment que ça fonctionne et qui avaient vraiment la motivation de travailler là, ça reste que, à un moment donné, tu te sens vraiment comme un dancing monkey (NDLR : expression signifiant marionnette, souvent en référence à quelqu'un dont on tire avantage, qui se fait exploiter). [...] On ne se fait vraiment pas traiter comme des êtres humains. [...] Notre santé mentale n’est pas importante. »
Elle a d'ailleurs mentionné avoir tenté de parler de la situation au département des ressources humaines de la compagnie, mais sans succès : « Les RH (ressources humaines) ne font absolument rien. Ils ne font rien pour nous aider. »
Emmy n’est pas la seule à avoir vécu des mois difficiles lors de son expérience au Club Med Charlevoix.
Lucas*, un autre employé du Club Med rencontré par Narcity, a lui aussi souligné ressentir l’absence de soutien du personnel des ressources humaines : « [Les ressources humaines] sont complètement inutiles et impolies. [...] Elles existent plus pour la compagnie que pour toi. »
Notons que, sur les huit employé.es interrogé.es, tous et toutes ont mentionné un manque de support de la part de l'équipe des ressources humaines.
Questionné par Narcity à ce sujet, le Club Med a déclaré avoir implanté certains dispositifs afin de permettre aux employé.es de se confier aux ressources humaines : « Nous tenons avant tout à assurer que le Club Med est attaché au bien-être, à la protection, au développement et à l’épanouissement de tous ses collaborateurs et respecte l’ensemble des lois sur la protection du travail. Les conditions de travail saines sont au cœur des priorités de notre entreprise, de son histoire et de ses valeurs. Nos équipes RH sont disponibles et une ligne téléphonique anonyme a également été mise en place afin de permettre à nos collaborateurs de s’exprimer en toute confidentialité si nécessaire. »
Lorsque Narcity a demandé à Lucas comment il décrirait le climat de travail au sein de l’entreprise, le jeune homme a affirmé être sorti très fatigué de son expérience : « Éreintant. Il y avait beaucoup de nous qui, en commençant, avaient beaucoup d’énergie. On était très heureux. Mais le plus longtemps qu’on était là, plus on ressentait de l’anxiété, un manque d’énergie et plus on était déprimé… C’était vraiment dur. »
« Je me sentais comme si j’étais au secondaire, quand tu as les populaires, qui étaientles superviseurs, et tout le monde qui n’est pas dans ce groupe est regardé de haut. [...] Il y avait de l’intimidation, mais pas de façon évidente, plus comme un climat. »
Lucas a d'ailleurs confié que certains gestionnaires parlaient librement des problèmes de leurs employé.es et dévoilaient des informations qui devaient rester confidentielles dans l'espace ouvert de la direction, alors que bon nombre de personnes pouvaient les entendre. « Il y a au moins 25 personnes qui travaillent là. On dirait qu’il y avait juste un manque de respect pour la vie personnelle des employés de la part des gérants. »
Emmy a indiqué, elle aussi, avoir vécu ce genre de situation où elle a entendu des commentaires désobligeants sur ses collègues. Elle a décrit la situation comme humiliante : « J’entendais constamment les managers parler des employés en mal [...], de manière dégradante, de manière irrespectueuse. »
Megan*, une autre employée du Club, s’est dite chanceuse de ne pas avoir eu de problèmes avec ses supérieur.es : « Il y a beaucoup de G.O. qui m’ont parlé d’à quel point leurs gérants les traitaient comme rien et à quel point ils n’étaient plus heureux. Quand les gens viennent ici, ils changent énormément. [...] Je trouve ça incroyable que moi, il ne m’est rien arrivé. Je vois tous les autres G.O. et il se passe tellement de merde avec eux. [...] Il faut qu’il y ait quelque chose qui change. »
« Ils ne traitent pas bien leurs employés. [...] Ça peut être des commentaires passifs agressifs, parler dans le dos, être fake (hypocrite). [...] Il y a une gérante qui a fait pleurer ses employés je ne sais pas combien de fois! », ajoute-t-elle.
Horaires de travail problématiques
Selon les normes du travail en vigueur au Québec, tout temps travaillé doit être payé par l'employeur : « Une travailleuse ou un travailleur est considéré comme au travail et doit être payé quand il est disponible sur les lieux de son emploi et qu’il attend qu’on lui donne du travail. » De plus, la Commission des normes, de l'équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) stipule que « le travailleur a droit à un repos d’au moins 32 heures consécutives chaque semaine ».
Plusieurs G.O. interviewé.es par Narcity ont toutefois témoigné d’horaires de travail problématiques où ils et elles se sentaient parfois obligé.es de rester jusqu’à tard sans être payé.es, de peur de subir des conséquences de la part de leurs gestionnaires.
« Parce qu’on vivait là-bas, on dirait qu’on était toujours sur appel. Tu ne pouvais pas juste quitter même si c’était le temps de quitter. [...] Si ça ne te tentait pas de faire le party ce soir-là, tu ne pouvais pas vraiment rester dans ta chambre, même après ton shift (quart de travail). On dirait qu’ils voulaient toujours que tu sois là, tant que tu n’étais pas endormi. [...] Si tu n’étais pas hors de ta chambre assez souvent on aurait dit que c’était mis contre toi, dans ta réputation, dans ton standing avec les autres gérants », indique Lucas, qui a mentionné avoir travaillé dix jours d’affilés sans son consentement.
« On est payé huit heures par jour, donc 40 heures par semaine. Je commençais tôt le matin et à 23 h le soir on était là, car même si on a une pause d'une heure, il faut être présent. [...] Un moment donné, c’est très demandant [...] », a déclaré Marianne*, une autre G.O. du Club Med qui a accepté de parler à Narcity.
La jeune femme a ensuite dit devoir être présente aux activités du soir même si elle n’était pas payée : « Il y a tout le temps des yeux partout. On nous surveille. Donc le soir, non, je n’osais pas ne pas venir (aux spectacles pour la clientèle) de peur qu’ils m’enlèvent de l’argent sur ma paye. »
Même son de cloche du côté de Stéphanie* qui a enchéri en affirmant s’être sentie, à plusieurs reprises, obligée de boire de l’alcool par ses supérieur.es afin de participer à mettre de l’ambiance lors des soirées au Club Med. « Un des boss est venu avec un drink. Il n’arrêtait pas de me le proposer. Je lui disais : "Non je ne bois pas, je n’ai pas envie de boire, je ne veux pas." Et après, il a mis deux pailles et il m’a obligé à boire avec lui, en même temps que lui, et je me sentais trop obligée. Après, il m’a invitée dans sa chambre. [...] Il m’a dit "Viens, on va aller boire un verre dans ma chambre." [...] Mais moi quand je dis non, c’est non. »
En réponse aux enjeux qui ont trait aux horaires, le Club Med a spécifié, lors de son échange avec Narcity, suivre les règles de la CNESST : « Concernant les heures supplémentaires, elles sont proposées sur la base du volontariat dans le cadre de la régulation prévue par la CNESST. Elles sont bien entendu rémunérées et sont par ailleurs majorées à 50 %. »
Notons que la section emploi, disponible sur le site Web du Club Med, indique que les G.O. auront accès à une offre diverse de nourriture et un logement au sein du Village, des avantages qui engendrent une contribution monétaire déduite de leurs payes. Les employeur.euses sont aussi dans l’obligation de planifier un horaire de travail qui respecte les lois en vigueur au Canada.
Harcèlement et agressions sexuelles
Narcity a été mis au fait par les huit personnes contactées d’un présumé cas de harcèlement sexuel qui concernerait un gestionnaire envers une employée. La jeune femme se serait plainte de la situation à la direction du complexe hôtelier. Cette dernière a refusé les demandes d’entrevues avec Narcity étant donné les procédures judiciaires en cours contre le Club Med.
Selon ce qui nous a été rapporté, le superviseur visé par les allégations aurait été transféré dans un autre Club Med en France. Narcity a été en mesure de valider le changement d’emploi de l’homme en question.
Lors des entrevues avec les G.O., bon nombre ont fait écho à des situations de malaise dans lesquelles les limites décrites comme trop ambiguës auraient été repoussées par certain.es employé.es ou supérieur.es : invitations à faire des massages, à dormir dans le même lit, à prendre un verre dans une chambre et harcèlement par textos ont entre autres été listés par les jeunes femmes interviewées.
À ce sujet, Marianne* a raconté que dès sa première journée de travail, elle aurait reçu plusieurs textos dérangeants de la part d’autres salariés du complexe et dont Narcity a eu une copie : « Quand je suis arrivée, ça m’a vraiment choquée. [...] On dirait qu’on était de nouvelles proies. La journée même, j’ai reçu deux messages de deux gars (employés du Club Med) différents sur Instagram. [...] Moi, j’ai été chanceuse, je n’ai pas eu tant de photos déplacées. »
Elle dit ne pas avoir parlé de ces agissements à ses gestionnaires : « On sent qu’il n’y a personne qui peut vraiment t’aider dans ce milieu-là. En fait, tu sens que tu ne peux avoir confiance en personne, car si tu dis quelque chose ça va être transformé ou banalisé. » Marianne a ajouté que la situation du cas de transfert du gestionnaire ainsi que la plainte de harcèlement sexuel ne l’ont pas aidée à se sentir en sécurité dans son lieu de travail.
Lucas a aussi affirmé avoir entendu des propos déplacés de la part de superviseur vis-à-vis des femmes travaillant au Club Med : « Un chef de département parlait à un autre employé qui était là de façon temporaire. [...] Le chef de département voulait qu’il reste, donc pour essayer de le convaincre, il a commencé à nommer toutes les choses qui sont bonnes au Club Med et une des choses qu’il a dites c’est "You should really stay here, because this is the place that if you want to f*ck a different b*tch everyday, this is where you do it." (Traduction libre : Tu devrais vraiment rester ici parce que si tu veux baiser des s*lopes différentes tous les jours, c’est ici que tu peux le faire). »
Contactée par Narcity, la multinationale a assuré être très préoccupée par ces allégations et a souligné ne tolérer aucun comportement de ce genre : « Concernant les mentions de harcèlement et d’agressions sexuelles [...], nos équipes sont formées et sensibilisées à ces problématiques et ces cas sont sanctionnés dès qu’ils sont portés à notre connaissance. »
« Nous tenons à réitérer que ces enjeux et allégations ne sont pas pris à la légère chez Club Med, et que nous prenons toutes les mesures possibles pour les éviter et les sanctionner, afin d’assurer le bien-être, la protection, le développement et l’épanouissement de tous nos collaborateurs », ajoute l'entreprise.
À noter que l'écriture inclusive est utilisée pour la rédaction de nos articles. Pour en apprendre plus sur le sujet, tu peux consulter la page du gouvernement du Canada.